GreenCataract : l'écologie a(u) bloc !

 

ENTRETIEN avec Arthur Ferrero. Dans un contexte d’urgence environnementale et sanitaire, l’association GreenCataract ambitionne d’inventer le premier bloc opératoire de la cataracte décarboné et open source. Retour sur ce projet lauréat du 126ème Congrès de la Société Française d’Ophtalmologie (SFO, 2020), qui se lance aujourd’hui dans l’innovation ouverte.

 

Peux-tu revenir avec nous sur la genèse du projet GreenCataract ?

Quand on a commencé il y a deux ans, tout est parti du constat que les problématiques environnementales sont trop peu prises en compte à l’hôpital, car “la santé prime sur l’écologie”. Au bloc, on voyait les montagnes de déchets s’accumuler au fil des interventions et ça n’était que la partie visible de l’iceberg. La décomposition des étapes en amont et en aval d’une opération, réalisée dans le cadre de notre bilan carbone, a révélé par la suite l’ampleur de l'impact écologique de ces interventions de routine.

“les problématiques environnementales sont trop peu prises en compte à l’hôpital, car “la santé prime sur l’écologie”.”

J’étais déjà assez impliqué, comme beaucoup de gens de ma génération, dans “l’écologie de tous les jours”, sensibilisé à l'impact de mon alimentation, de mes voyages, etc. Mais je ne pouvais que relever l’incohérence entre ce qui se passait dans ma vie privée et dans ma vie professionnelle. C’est d’ailleurs en parlant avec mes internes, de fait plus jeunes que moi et en voyant leur engouement fort pour le projet que j’ai décidé de poursuivre le travail sous l’impulsion du Professeur Brezin, mon chef de service à l’Hôpital Cochin. 

C’est de là qu’est né GreenCataract et son ambition : réduire l'impact écologique de la chirurgie dans les faits, en inventant le premier bloc opératoire décarboné pour la cataracte. Jusqu'où pouvons-nous aller dans la réduction de nos émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de nos déchets ? C’est la question à laquelle nous nous attaquons.

“Jusqu'où pouvons-nous aller dans la réduction de nos émissions de dioxyde de carbone (CO2) et de nos déchets ? C’est la question à laquelle nous nous attaquons.”

Pourquoi avoir choisi l’opération de la cataracte spécifiquement, plutôt qu’une autre ?

L’opération de la cataracte est un cas d’école. C’est l’opération la plus pratiquée en France et dans le monde. Il s’agit d’une opération très standardisée, aux procédés maîtrisés. Elle est très courte mais très dommageable en terme environnemental, avec un impact très palpable 

- la poubelle qui déborde littéralement sur le sol après 10 minutes d’intervention à peine - et quelques chiffres très probants. Nous avons déterminé que chaque intervention générait plus de 80kg de CO2, produisait près de 3kg de déchets (emballages, matériels à usage unique, papiers, etc.) et requérait des approvisionnements provenant de 13 pays différents, pour une distance parcourue cumulée d'environ 83 000km soit deux fois le tour de la planète. Et imaginez qu’il se réalisait plus de 800 000 interventions de ce type en France en 2018 ! Les effets de volumes sont considérables.

Un autre aspect intéressant, c’est qu’elle est pratiquée par une communauté de professionnels bien identifiée et “à taille humaine”, car circonscrite à environ 4 000 praticiens ophtalmologistes en France. Cela facilite la sensibilisation voire, demain, l’évolution concrète des pratiques à grande échelle.

Sa chaîne de valeur étant de ce fait très lisible, aussi bien en termes d’activités réalisées, d’acteurs impliqués, de flux générés, de matières utilisées en entrée et rejetées en sortie, etc., il redevient possible d’agir dessus. Autrement dit : nous en connaissons aujourd’hui les points noirs, à nous de façonner nos leviers d’action. Et cela suggère une réflexion aussi bien sur les protocoles médicaux que sur les matériels utilisés, les matières consommées, les processus industriels de leurs producteurs, ou encore la localisation de leur production.

“L’opération de la cataracte est un cas d’école. Sa chaîne de valeur étant très lisible, il redevient possible d’agir dessus.”  

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GreenCataract se lance aujourd’hui dans une démarche d'innovation ouverte, qu’entendez-vous par là ?

Depuis le départ, GreenCataract est porté par un engagement associatif, avec l’intérêt général en toile de fond. Mais c’est vraiment de notre rencontre avec la Fabrique des Santés qu’est venue l’envie d’ouvrir notre démarche.

Partant du constat qu’en l’état actuel des choses, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions, l'idée est de mettre en commun connaissances, savoir-faire, ressources et énergies, avec quiconque souhaiterait s’engager dans l’aventure avec nous. Nous faisons le pari du partage et de la collaboration pour décupler nos capacités d’action.

“Partant du constat qu’en l’état actuel des choses, nous n’avons pas les moyens de nos ambitions, l'idée est de mettre en commun connaissances, savoir-faire, ressources et énergies avec quiconque souhaiterait s’engager dans l’aventure avec nous.”

Cela passera concrètement par l’organisation de sessions de travail collectif, avec l’ensemble des parties prenantes et disciplines volontaires, qui pourraient nous permettre de couvrir l’ensemble des dimensions du sujet : protocoles médicaux, conception, approvisionnement et transport des matériels, organisation spatiale des unités chirurgicales, etc. L’un de nos enjeux réside en effet dans notre capacité à sortir le projet de son “écosystème naturel” et de la confidentialité de la communauté médicale ophtalmologique, pour lui donner toute sa dimension systémique. Et les contacts sont déjà pris avec des acteurs très éloignés de nous, comme des organisations du zéro déchet, des designers, des équipementiers médicaux, des makers de l’“open santé”, des collectivités.

“L’un de nos enjeux réside dans notre capacité à sortir le projet de son “écosystème naturel” et de la confidentialité de la communauté médicale ophtalmologique, pour lui donner toute sa dimension systémique.”

Vous parlez également de produire des “communs” ?

C’est une dimension qui est arrivée plus tard dans le projet, avec la Fabrique des santés encore et qui nous interroge sur la manière dont nos travaux pourraient bénéficier à d’autres. Au delà des considérations sémantiques autour de ce qu’est ou n’est pas un 

“commun”, la question posée est la suivante : quelles ressources, outils, protocoles produire qui soient à la fois accessibles au plus grand nombre, utiles à d’autres (c’est-à-dire réutilisables dans leur propre métier) et dont une communauté d’usagers, de contributeurs se sentirait collectivement responsable ?

“la question posée est la suivante : quel.les ressources, outils, protocoles produire qui soient accessibles au plus grand nombre, utiles à d’autres et dont une communauté d’usagers, de contributeurs se sentirait collectivement responsable ?”

Cela pourrait, par exemple, prendre la forme de plans de fabrication de matériels médicaux réutilisables, réalisés dans le cadre de nos groupes de travail et que l’on partagerait en ligne, en accès libre sous licence Creative Commons. Leurs concepteurs pourraient en établir des règles de révision régulière, pour s’assurer que ces plans sont à jour et respectent bien les dernières normes ou réglementations en vigueur, et les modifier le cas échéant. Et il pourra en aller de même pour les protocoles médicaux et autres guides de bonnes pratiques établis ensemble, pour nos méthodologies de travail, notamment celle du bilan carbone d’un bloc opératoire pour lequel nous avions nous-mêmes utilisé de très bonnes ressources mises à disposition par l’Agence de la transition écologique (ADEME). Hier nous présentions le projet dans des colloques d’ophtalmologie en France et à l’étranger devant quelques centaines de professionnels du secteur ; demain nous partagerons nos méthodologies, outils et résultats en ligne avec une communauté élargie à des milliers d’étudiants, industriels, chercheurs et autres curieux en tout genre. Nous partagerons nos réussites comme nos limites, nos échecs. C’est également comme ça que nous entendons contribuer aux communs !  

Vaste programme ! Par où commencer ? 

À ce stade, nous souhaitons encore conforter la pertinence et la faisabilité du projet. C’est pourquoi nous nous sommes fixé trois priorités pour lancer concrètement le chantier, sur les six prochains mois. 

La première est d’obtenir la publication de notre bilan carbone dans une revue scientifique, notamment pour renforcer la crédibilité du projet au sein de la communauté médicale. Notre premier article est en cours de revue et un suivant, qui sera la thèse de médecine d’un interne, est en cours de finalisation. 

La seconde est de proposer un protocole chirurgical de bonnes pratiques environnementales. Cela passe par la création d’un comité de rédaction idéalement composé d’ophtalmologistes, d'anesthésistes, de médecins hygiénistes, mais aussi d’infirmièr.es, de cadres de blocs et surtout de personnes d’horizons différents mais habitués à gérer des problématiques environnementales. Avec un tel protocole, nous pourrions commencer dès maintenant à réduire l’impact environnemental de la chirurgie de la cataracte partout en France.

La troisième est d’organiser un premier temps d’échange ouvert, qui aura pour double objectif de constituer un noyau dur de contributeurs (en compétences, en temps, pourquoi pas en argent) et d'élaborer ensemble des premières pistes d’action concrète.

“nous nous sommes fixé trois priorités pour lancer concrètement le chantier, sur les six prochains mois : obtenir la publication de notre premier bilan carbone dans une revue scientifique ; proposer un protocole chirurgical de bonnes pratiques environnementales ; organiser un premier temps d’échange ouvert.” 

Arthur Ferrero est chirurgien ophtalmologiste. Après quatre années d’exercice à l’Hôpital Cochin et dans le cabinet Med-Ophta à Paris, il a rejoint le Centre Ophtalmologique de la Clinique de l’Union à Saint-Jean (Occitanie), en janvier 2021. Ils ont créé l’association GreenCataract au printemps 2020, avec Florence Hoogewoud et Raphaël Thouvenin, deux confrères.soeurs qui exercent respectivement à l'Hôpital Jules Gonin à Lausanne (Suisse) et à la Clinique de l'Union de Saint-Jean.

Arthur Ferrero est chirurgien ophtalmologiste. Après quatre années d’exercice à l’Hôpital Cochin et dans le cabinet Med-Ophta à Paris, il a rejoint le Centre Ophtalmologique de la Clinique de l’Union à Saint-Jean (Occitanie), en janvier 2021. Ils ont créé l’association GreenCataract au printemps 2020, avec Florence Hoogewoud et Raphaël Thouvenin, deux confrères.soeurs qui exercent respectivement à l'Hôpital Jules Gonin à Lausanne (Suisse) et à la Clinique de l'Union de Saint-Jean.

Contact : greencataract.asso@gmail.com  

Entretien réalisé par Yann Bergamaschi, co-fondateur de la Fabrique des santés.