Vers une recherche plurielle, interdisciplinaire et participative en santé

Dans un article récent Apprentissage par la recherche et enjeux d’une formation à la recherche en soins palliatifs qu’elle a co-signé avec Chloé Prod’homme (médecin de soins palliatifs, enseignante-chercheuse à Lille), Isabelle Colombet (médecin enseignante-chercheuse à Paris) interroge la responsabilité sociale de la recherche en santé, son évolution récente ainsi que les questions éthiques qu’elle pose dans un contexte de profonds bouleversements sociaux et politiques sur fond de crise écologique et sanitaire. Partant de son expérience de la médecine palliative et du champ de la fin de vie, Isabelle revient sur les enjeux de la formation à la recherche : la lecture critique de tout type de données scientifiques ; la problématisation et la formulation d’une question de recherche pertinente et argumentée ; et son ancrage dans un cadre épistémologique adapté. Elle insiste surtout sur la double nécessité de créer les conditions d’une recherche plurielle, interdisciplinaire et participative assumant sa responsabilité sociale, et d’enrichir une communauté de chercheurs actifs et engagés à l’heure où TOUT devrait changer. Nous l’avons interrogée sur cette pluralité de paradigmes de recherche qu’elle appelle de ses vœux, comme un préalable à toute transformation en profondeur du secteur de la santé.

Si un autre soin est possible, comment le rechercher ?

 

Bonjour Isabelle et merci encore de nous accorder un peu de ton temps. Dans ton dernier article, tu parles des soins palliatifs, la discipline d’où vous venez avec ta co-autrice. Pourrais-tu nous expliquer pourquoi cette discipline constitue, à ton sens, un terrain de réflexion privilégié pour penser la santé et les soins aujourd’hui ?

Les soins palliatifs ont émergé dans les années 60 au St Christopher Hospice à Londres, en réaction à une médecine qui se développait essentiellement dans sa dimension thérapeutique au plan technique et scientifique, en laissant la prévention des maladies aux politiques de santé publique et surtout en se focalisant sur la maladie, négligeant de soulager la douleur et les divers symptômes dont souffraient les patients atteints de maladie grave et incurable. En France, l’émergence des soins palliatifs est généralement située en 1986, avec la circulaire Laroque et l’ouverture de la première unité de soins palliatifs, dirigée par le Pr Maurice Abiven à l’hôpital de la Cité universitaire à Paris. En 2002, l’OMS [Organisation Mondiale de la Santé, NDLR] définit les soins palliatifs comme « cherchant à améliorer la qualité de vie des patients et de leur famille, face aux conséquences d’une maladie potentiellement mortelle, par la prévention et le soulagement de la souffrance, identifiée précocement et évaluée avec précision, ainsi que par le traitement de la douleur et autres problèmes physiques, psychologiques et spirituels qui lui sont liés. ».

Pour se « hisser » ainsi au rang des autres spécialités médicales ou disciplines hospitalo-universitaires [...], la médecine palliative a dû en quelques sortes « rentrer dans le moule ». Cela a été un exercice d’équilibriste compliqué puisqu’elle était née paradoxalement d’un mouvement plutôt contestataire de cette médecine technoscientifique, encore une fois ancrée dans les sciences biologiques, avec ses outils biostatistiques et épidémiologiques.

Aujourd’hui, la médecine palliative est devenue une discipline hospitalo-universitaire à part entière, qui a vu en septembre 2023 la nomination de ses quatre premiers médecins MCU-PH [Maître de Conférences des Universités-Praticien Hospitalier, NDLR], dont le Dr Chloé Prod’homme qui m’a considérablement aidée à écrire et a donc co-signé cet article. Pour se « hisser » ainsi au rang des autres spécialités médicales ou disciplines hospitalo-universitaires exclusivement ancrées dans les sciences biomédicales depuis le début du XXe siècle et dirigées par le progrès technoscientifique qui s’est considérablement accéléré depuis les années 80, la médecine palliative a dû en quelques sortes « rentrer dans le moule ». Cela a été un exercice d’équilibriste compliqué puisqu’elle était née paradoxalement d’un mouvement plutôt contestataire de cette médecine technoscientifique, encore une fois ancrée dans les sciences biologiques, avec ses outils biostatistiques et épidémiologiques.

L’émergence de cette discipline sur une si courte période de temps semble en faire un terrain d’observation de choix et ton analyse montre bien ses relations avec les dynamiques à l’œuvre dans le milieu médical contemporain. À cet égard, les soins palliatifs serait-ils, par définition, en décalage avec ces logiques dites « de marché » et gestionnaires, et donc l’occasion d’un pas de côté dans la réflexion ?  

Oui, tout à fait, les valeurs portées par les soins palliatifs depuis leur origine sont attentives au patient dans l’entièreté de son humanité, en acceptant sa finitude. Aux trois dimensions de la souffrance évoquées dans la définition de l’OMS, physique, psychique et spirituelle, il faut d’ailleurs aussi ajouter la dimension sociale. Les soins palliatifs revendiquent d’être une médecine de l’accompagnement du patient et de ses proches à vivre avec la maladie et la perspective de la mort à venir, ce qui ne les empêche pas, bien sûr, d’entrer précocement dans la trajectoire de soins du patient et de coopérer avec les médecins qui vont s’efforcer de rallonger la durée de vie en se concentrant sur le traitement de la maladie. Les soins palliatifs sont donc venus questionner, dès leur émergence, le mouvement perpétuel du progrès scientifique qui dirige notre médecine occidentale depuis la fin de la révolution industrielle, ancrée exclusivement dans une épistémologie positiviste, avec une attente de performance, c’est-à-dire de guérison ou de réhabilitation d’un sujet socialement actif, capable de travailler et d’être productif. Il y a en effet une parenté épistémologique positiviste très claire entre le modèle biomédical et technoscientifique de développement de la médecine occidentale d’une part, et le modèle économique néo-libéral d’autre part :  les deux modèles partagent nombre de ressorts idéologiques et se retrouvent dans une même rhétorique de la promesse, comme l’a parfaitement bien démontré Barbara Stiegler dans ses travaux au croisement de la philosophie politique et de la santé publique.

Les soins palliatifs sont donc venus questionner, dès leur émergence, le mouvement perpétuel du progrès scientifique qui dirige notre médecine occidentale depuis la fin de la révolution industrielle, ancrée exclusivement dans une épistémologie positiviste, avec une attente de performance, c’est-à-dire de guérison ou de réhabilitation d’un sujet socialement actif, capable de travailler et d’être productif. Il y a en effet une parenté épistémologique positiviste très claire entre le modèle biomédical et technoscientifique de développement de la médecine occidentale d’une part, et le modèle économique néo-libéral d’autre part.

Du fait de leur terrain d’action, à proximité de la mort, les soins palliatifs sont en prise directe avec des enjeux éthiques et philosophiques forts. Il est clair que la lutte contre l’ « obstination déraisonnable » (expression qui a remplacé dans le jargon professionnels des soins palliatifs, celle d’« acharnement thérapeutique », quelque peu dévalorisante pour le médecin prescripteur) est inscrite dans leurs gènes depuis la loi Leonetti de 2005. Cette loi a institué le droit pour le patient de refuser un traitement qu’il jugerait déraisonnable. Ce droit implique du même coup celui d’être informé justement des options thérapeutiques et de leurs conséquences prévisibles (y compris celle d’abstention) et aussi le droit d’accès à des soins palliatifs et d’accompagnement de qualité jusqu’au bout de la vie, c’est à dire jusqu’à une survenue « naturelle » ou en tout cas non provoquée de la mort, quitte à l’accélérer un peu si les médicaments utilisés pour soulager la souffrance peuvent avoir cet effet. C’est la notion de « double effet », également institué par la loi Leonetti en 2005 et donc légalement acceptable dans la pratique. On comprend dès lors que l’aide active à mourir, est difficilement compatible avec les valeurs de soins et d’accompagnements qui font sens pour les praticiens de soins palliatifs, ce qui ne les empêchent pas d’être formés ou de se former à accueillir des demandes d’euthanasie pour ce qu’elles sont dans une grande majorité des cas : un appel à l’aide dans une société dominée par le positivisme et l’exigence de performance et de productivité ! Le problème aujourd’hui est malheureusement une insuffisance de moyens pour assurer cette formation et, par conséquent, une pénurie de professionnels correctement formés. La dimension spirituelle devrait elle aussi être davantage prise en considération, en ce qu’elle interroge notre rapport à la souffrance, à la dégénérescence, à la perte d’autonomie ou à la dépendance, à l’aidance, à la mort. Ces questionnements existentiels qui nous concernent toutes et tous, intimement, sont-ils seulement « autorisés » aujourd’hui dans la population générale et dans le débat public ?

Ceci n’est pas forcément très perceptible de prime abord, pourtant tes réflexions autour des soins palliatifs puisent leur origine dans tes travaux antérieurs en santé publique et sur les inégalités de santé. Quel a été ton cheminement ? 

J’ai été fortement marquée, pendant ma formation médicale à Lyon en cardiologie, par l’influence d’Alain Froment qui, dans les années 80, questionnait déjà l’impact hégémonique d’une conception biomédicale de la construction et de la transmission des savoirs utiles au médecin clinicien. Précurseur de la démarche de lecture critique d’article avant la publication des premiers articles fondateurs de l’Evidence-Based Medecine (EBM), en 1991, Froment prônait la mise en application par le clinicien des critères de scientificité des essais cliniques, interdisant l’accès de son service aux visiteurs médicaux, pour encourager ses internes à une lecture critique et à un processus de décision réellement partagé avec un patient justement informé, au cours d’une rencontre soignante, respectueuse de l’intersubjectivité. Tout mon cheminement professionnel était, en quelques sortes, déjà inscrit dans son livre publié après sa mort prématurée, en trois volumes : Maladie donner un sens ; Médecine scientifique, médecine soignante ; et Pour une rencontre soignante. Mon parcours s’est ainsi déroulé, depuis 1991, de la cardiologie à la santé publique et l'informatique médicale, puis plus particulièrement dans la recherche sur l’amélioration de la qualité des pratiques médicales, l’organisation des soins et des services de santé puis, enfin, ces dix dernières années, au service du développement et de l’enseignement d’une recherche en médecine palliative et dans le champ de la fin de vie.

Quelques années plus tard, le PREQHOS a été renommé par le Ministère, très significativement, en PREPS pour « Programme de Recherche et d’Évaluation de la Performance en Santé ». Ce changement de nom manifeste l’intention politique louable d’un élargissement à la médecine de ville en abandonnant l'exclusivité « hospitalière », mais trahit aussi très clairement le dévoiement du concept de « qualité » tel que nous le concevions à l’époque avec mes collègues de santé publique, pour en faire ce qu’il était en réalité : un levier issu du monde de la production industrielle pour améliorer la performance productrice de soins de notre système de santé.

Deux souvenirs de ma période d’activité en santé publique sont assez emblématiques de la prise de conscience que je décris dans l’article. Premièrement, j’ai eu la chance de participer au jury du premier appel d’offres de la DGOS [Direction Générale de l'Offre de Soins, NDLR], créé en 2009 et intitulé PREQHOS [Programme de Recherche et d’Évaluation de la Qualité Hospitalière, NDLR]. Celui-ci s’intégrait à côté de l’appel d’offres plus ancien pour la recherche clinique à l’hôpital, le PHRC [Programme Hospitalier de Recherche Clinique, NDLR]. Quelques années plus tard, le PREQHOS a été renommé par le Ministère, très significativement, en PREPS pour « Programme de Recherche et d’Évaluation de la Performance en Santé ». Ce changement de nom manifeste l’intention politique louable d’un élargissement à la médecine de ville en abandonnant l'exclusivité « hospitalière », mais trahit aussi très clairement le dévoiement du concept de « qualité » tel que nous le concevions à l’époque avec mes collègues de santé publique, pour en faire ce qu’il était en réalité : un levier issu du monde de la production industrielle pour améliorer la performance productrice de soins de notre système de santé. Deuxièmement, j’ai enseigné pendant plusieurs années en PACES [Première Année Commune des Études de Santé, NDLR] et en IFSI [Institut de Formation en Soins Infirmiers, NDLR] trois cours sur les « Grands Problèmes de Santé Publique en France », la « Santé Internationale » et le « Développement de l’E-Santé ». Le principal problème de santé en France était depuis longtemps les inégalités sociales de santé, et il n’a fait que s’accentuer depuis 20 ans. Par ailleurs, alors que mon exemple emblématique était l’épidémie d’obésité dans les pays occidentaux - qui touche principalement les catégories sociales les plus pauvres et les moins éduquées -, je ne pouvais qu’évoquer la malnutrition et la faim dans mon cours sur la santé internationale, invoquant aussi le marketing de l’industrie du tabac qui, bloqué par la loi dans les pays dits « développés » s’était déporté dans les pays « en voie de développement » ! C’est alors, à partir de 2015, que j’ai commencé à introduire dans mes cours l’affiche du film Demain de Cyril Dion, et à chercher comment décliner la question de l’urgence écologique dans le monde de la santé.

Dans ton article, tu parles du « trépied recherche-pratique-formation » comme d’un tout indissociable, à transformer en bloc. Pourrais-tu nous éclairer sur cette dimension du changement épistémologique que tu hisses au rang d’impératif pour relever les défis actuels de la santé ? 

Oui, ce trépied est directement inhérent au statut hospitalo-universitaire dans lequel je suis entrée en 2004 comme MCU-PH. Tout candidat à un poste de MCU-PH ou PU-PH [Professeur d’Université-Praticien Hospitalier, NDLR] doit justifier d’une activité de recherche, d’enseignement et d’une activité pratique médicale, et donc des compétences acquises pour les exercer et des résultats déjà obtenus. Ces résultats étant évalués en nombre de points, avec un système de valorisation bien codifié qui quantifie les publications scientifiques et les heures d’enseignement, sans réelle évaluation de la qualité et de l’impact social de celles-ci, sont devenus très difficiles à accumuler et avec le risque d’une certaine perte de sens dans le travail de recherche comme d’enseignement. À l’heure de la nécessaire « redirection écologique » de nos sociétés sur des trajectoires compatibles avec les limites planétaires - redirection prônée par des penseurs tel que Alexandre Monnin et portée par les jeunes générations actives -, ce statut hospitalo-universitaire est donc en perte totale d’attractivité. Ce n’est pas un hasard si la toute récente sous-section du CNU [Conseil National des Universités, NDLR] créée en 2017 pour la médecine palliative, n’est arrivée à nommer ses premiers MCU-PH qu’en 2023 !

Je montre dans l’article comment, historiquement, cette hégémonie du positivisme a concerné progressivement autant la pratique que la formation médicale et la recherche en santé. Exploités dans le cadre d’une politique néo-libérale de la gestion des services publics (concept de new public management), avec l’objectif de rationaliser les pratiques professionnelles et d’en contrôler les coûts, le mouvement d’importation à l’hôpital des processus d’assurance qualité et celui du développement de l’Evidence-Based Medicine (EBM) dans les années 90, ont évolué en complète synergie, le second largement dévoyé et instrumentalisé au service du premier. On perçoit également assez bien de quelle manière la numérisation galopante du secteur de la santé, par l’automatisation des systèmes d’information et de gestion, le développement du big data, de l’intelligence artificielle, etc., vient faciliter et amplifier tout cela.  

Je montre dans l’article comment, historiquement, cette hégémonie du positivisme a concerné progressivement autant la pratique que la formation médicale et la recherche en santé. Exploités dans le cadre d’une politique néo-libérale de la gestion des services publics (concept de new public management), avec l’objectif de rationaliser les pratiques professionnelles et d’en contrôler les coûts, le mouvement d’importation à l’hôpital des processus d’assurance qualité et celui du développement de l’Evidence-Based Medicine (EBM) dans les années 90, ont évolué en complète synergie, le second largement dévoyé et instrumentalisé au service du premier.

Finalement, sans renier les bienfaits des avancées permises par les développement techno-scientifiques de la médecine occidentale, il s’agirait aujourd’hui d’opérationnaliser une ouverture épistémologique des activités de soins, de formation et de recherche, pour décloisonner les disciplines et activités, aller en synergie vers des sciences plurielles, impliquées et participatives comme le défend Léo Coutellec [Maître de conférence en éthique et épistémologie de sciences contemporaines, NDLR], assumant le rôle de l’expérience subjective du patient comme du praticien, dans la construction des savoirs et dans la pratique de la médecine et du soin.

Tu avances l’idée que ces réflexions conduites autour des soins palliatifs pourraient bien aujourd’hui servir d’autres champs disciplinaires. Tu parles notamment de la « santé intégrative », démarche pour le moins polémique taxé d’« hérésie » voir de « charlatanisme » par les tenants de l’EBM et d’un ordre médical bien établi. Quel lien fais-tu avec tes travaux ? de quelle manière ceux-ci pourraient-ils contribuer à l'émergence d'un travail académique rigoureux autour de cette nouvelle démarche ?  

Aujourd’hui, la prise de conscience de l’impact environnemental de notre système de santé est là, dénoncée par des leaders militants comme l’astrophysicien et philosophe Aurélien Barrau ou encore le think tank le Shift Project. On assiste aussi à l’émergence d’une nouvelle discipline médicale qui s’appelle la « médecine intégrative », avec la vocation d’inclure et faire reconnaître par la « science médicale » les approches de soins dites « complémentaires », « non conventionnelles », ou encore « alternatives », souvent en tout cas fondées sur d’autres traditions philosophiques que celles de la médecine occidentale. En fait, à l’heure de la mondialisation, beaucoup de gens, patients, citoyens et/ou professionnels de santé n’ont pas attendu la validation scientifique par l’Université occidentale, pour aller se former ou profiter des bienfaits de la médecine traditionnelle chinoise, japonaise ou ayurvédique.

Je milite donc pour convaincre que dans la démarche de la médecine intégrative, ce n’est pas à ces approches de soins dîtes « complémentaires » de s’adapter pour être évaluables par notre science médicale positiviste, mais que c’est plutôt à notre monde académique et scientifique de s’ouvrir à d’autres paradigmes épistémologiques pour réconcilier les médecines issues de cultures et philosophies différentes.

Je milite donc pour convaincre que dans la démarche de la médecine intégrative, ce n’est pas à ces approches de soins dîtes « complémentaires » de s’adapter pour être évaluables par notre science médicale positiviste, mais que c’est plutôt à notre monde académique et scientifique de s’ouvrir à d’autres paradigmes épistémologiques pour réconcilier les médecines issues de cultures et philosophies différentes, et peut-être dessiner les contours d’un système de santé intégrative qui se fonderait sur les coopérations entre différentes disciplines et professions de santé, pour la promotion d’une santé durable et l’organisation sociale d’une médecine intégrative. Je pense qu’à l’heure où notre système de soins connaît une crise majeure de vocation de ses acteurs soignants, si nous n’avons pas conscience de cette nécessaire ouverture paradigmatique, le mouvement de la médecine intégrative ne sera qu’une opération de plus de green washing ou de marketing d’un système favorisant l’accès des catégories sociales les plus aisées à une médecine de pointe, tolérant pour ceux pouvant se les payer, les approches complémentaires de soins à la recherche du mieux-être individuel.

Tu présentes la recherche-action participative (RAP) comme l’outil méthodologique par excellence de ce changement épistémologique. Quel potentiel transformateur perçois-tu dans cette pratique ? et où la mettre en œuvre ?  

Oui, comme l’a écrit dans l’article Chloé Prod’homme, ma co-autrice qui m’a fait découvrir la RAP, celle-ci se définit par son objectif qui est « de mobiliser l’ensemble des parties prenantes et les données probantes quand il est question de conférer du sens à des situations complexes et d’agir selon la situation. Elle valorise l’expérience intersubjective et la participation de tous les acteurs concernés dans une recherche menée « avec » ou « par » des membres du public plutôt que « à propos » ou « pour » eux. ». En d’autres termes, la RAP est une méthode conçue pour « faire recherche » à plusieurs pour se transformer individuellement et collectivement, plus que pour « faire de la recherche » pour des résultats dont l’impact social, qu’on appelle aussi « validité externe » dans le jargon de la recherche clinique, ne s’avère pas toujours à la hauteur de l’investissement financier et humain consenti pour les produire.

En d’autres termes, la RAP est une méthode conçue pour « faire recherche » à plusieurs pour se transformer individuellement et collectivement, plus que pour « faire de la recherche » pour des résultats dont l’impact social, qu’on appelle aussi « validité externe » dans le jargon de la recherche clinique, ne s’avère pas toujours à la hauteur de l’investissement financier et humain consenti pour les produire.

Il n’est d’ailleurs pas étonnant que la RAP attire et trouve des adeptes parmi les acteurs militants du monde des tiers-lieux, avant de susciter l’intérêt des chercheurs en santé du monde académique. Je rêve de favoriser des liens entre ces deux mondes, pour imaginer ensemble des espaces où repenser nos usages, nos pratiques, nos schèmes de pensée, où expérimenter de nouveaux modes d'organisation, en collectifs, et où œuvrer concrètement, de manière opérationnelle au système de santé intégrative, équitable et écologiquement durable de demain !

 

Entretien réalisé par Yann Bergamaschi, fondateur et coordinateur de la Fabrique des santés.